Témoignage de F. Thomas, transmis par M-T. S. suite à l’étude de René Dupuy sur les prisonniers allemands en Haute-Loire (1945-1948).

  Willy Janusch

Willy, fait prisonnier dans la poche de Saint-Nazaire, interné au camp de Brioude, travailleur libre resté en France après 1948

La libération avait laissé à Brioude un camp de prisonniers allemands où des gardiens, résistants de la dernière heure, avaient déployé un grand zèle patriotique qui avait rempli un quartier du cimetière de croix de bois avec des écritures gothiques. Une fois l’an, à l’occasion de la grande tournée de la Toussaint, j’étais toujours choqué par les tombes du père et du fils qui reposaient côte à côte.

Certains de ces soldats perdus avaient eu la chance d’être détachés chez des agriculteurs et artisans prioritaires pour combler les manques de main d’œuvre, et c’est ainsi que mes grands-parents avaient hérité de Willy Janusch – que tout le monde appelait le Willy Virat, par opposition au Willy « Soule » qui lui oeuvrait chez un marchand de meubles du boulevard Devin, il épousera leur fille dans les années 60 après la réconciliation.

Notre Willy était resté en Auvergne car originaire de Prusse orientale, du couloir de Dantzig. Sa région d’origine était devenue polonaise et dans le désordre de la débâcle il n’avait plus de nouvelles de sa famille. Il était donc resté.

C’était un athlète de grande taille, qui ayant transformé sa consommation de bière habituelle par la même quantité de vin, promenait allègrement ses 140 kg. Il engloutissait d’impressionnantes quantités de viande et je me rappelle qu’on lui réservait le gras figé des pots au feu, pour enrichir ses bouillons de l’hiver.

Il maniait les quartiers de bœuf et de veau avec une facilité déconcertante et s’occupait des travaux agricoles que réclamaient 2 vaches, 3 ou 4 cochons, un cheval noir, une vigne route de Vieille-Brioude, des prés et un grand champ à Saint-Laurent où poussait du blé.

Durant les vacances, je l’accompagnais pour guider le cheval pour les sarclages et autres labours. Ma récompense, c’était la balade sur le siège du grand chariot plat articulé, la joie de grimper sur le dos du cheval pour ramener le tombereau à l’écurie.

Willy parlait peu, un français un peu spécial, et il me manifestait une sorte de tendresse rude et discrète sans mot superflu.

Un jour de 58 ou 59, une ravissante blonde d’une vingtaine d’années, qui parlait un peu de français, et surtout de l’allemand, est arrivée, pour moi par surprise, à la Boucherie, demandant Willy, et se présentant comme sa nièce.

Je me rappelle juste un dîner de clôture de visite, avec un Willy bien embarrassé qui venait d’apprendre que son fils et sa femme l’attendaient toujours outre-Rhin, et que, puisque le chancelier Adenauer et le Général De Gaulle étaient d’accord, il pouvait rentrer quand il voulait avec plein de droits.

Après quelques semaines où mes parents passèrent beaucoup de temps a remplir toutes sortes de papiers, Willy s’en est allé.

Environ, 12 à 18 mois plus tard, une lettre nous apprenait qu’il venait de décéder, l’émotion et la cirrhose avaient eu raison de lui.